Interview d’une tutrice de stagiaires TISF

Interview d’une tutrice de stagiaires TISF
Thématique : Ressources Humaines
Date publication : 31/05/2021
Texte publié : Article interne Y.Lopez
S. H., TISF (technicienne d’intervention sociale et familiale) à l’AFAD 33 est tutrice de stagiaires TISF sur le secteur du bassin d’Arcachon. Dans cette interview, elle nous explique son rôle de tutrice, ses attentes vis-à-vis des stagiaires, et à travers cela, sa vision du métier de TISF.

-Q1 : Depuis quand êtes-vous tuteur des stagiaires TISF ?

« Depuis la mise en place du tutorat, aux alentours de 2001. L’idée était que les stagiaires ne partent pas dans tous les sens. Au début, j’étais tutrice sur le secteur de Talence. Quand je suis arrivée sur le secteur du bassin vers 2005, une collègue TISF était déjà tutrice, mais elle n’a pas souhaité continuer. J’avais juste eu au début une petite formation d’une journée faite par une ancienne responsable. Et en 2019 j’ai suivi une formation plus approfondie pour savoir accueillir et intégrer un nouvel arrivant. Elle a duré plusieurs jours et nous étions avec des aides à domicile et des aides-soignantes. »

-Q2 : En quoi consiste votre rôle de tuteur ?

« On est là pour accompagner le stagiaire dans les familles. Un stagiaire n’est jamais seul. Le rôle du tuteur, c’est leur apprendre à savoir s’intégrer dans les conditions familiales, et leur apprendre à savoir se comporter dans les familles. En tant que tutrice, il faut surveiller. Quand les stagiaires ne sont pas dans le « questionnement », il faut savoir aller les chercher, car parfois c’est parce qu’elles n’osent pas. Il faut, en milieu de stage, leur demander si ça va, si elles ont besoin d’aide. Les 4 heures dans le mois dédiées au tutorat à l’AFAD sont utiles pour cela, pour dire « ça c’était bien, mais peut être qu’on peut le faire autrement ? Mais c’est bien tu as trouvé une solution. ». On fait un point. Il est aussi important d’avoir toujours le lien avec le centre de formation. »

-Q3 : Comment est intégré/e un/une stagiaire TISF à l’AFAD ?

Les stagiaires sont reçues à l’AFAD par les tuteurs TISF : on leur explique toutes les phases de la formation, tout ce qu’elles ont besoin de savoir, les choses techniques, comme la présentation de l’association, faire attention à soi, comment on se présente, les règles de sécurité. Après on leur demande souvent leurs motivations pour leur projet professionnel. Cette première évaluation nous permet en tant que tuteur de savoir comment elles se positionnent. En fait, on leur dit quoi faire, quoi ne pas faire dans une famille, et par rapport à cela, on leur dit les familles que l’on peut rencontrer, les types de situations rencontrées. On leur dit « le vouvoiement est très conseillé, même si les personnes sont du même âge que vous. ».  On leur explique la tenue, la façon de se présenter, la façon de rester en retrait au début, surtout pour le premier stage qui est principalement un stage d’observation. On leur dit qu’il faut toujours faire attention aux mots que l’on peut dire sans les brusquer, et que si on va trop vers les gens tout de suite, ils vont trouver cela intrusif. En réalité, on travaille avec de l’humain, on n’a pas vraiment de choses techniques, c’est plus dans le relationnel.

– Q4 : Qu’attendez-vous d’un/e stagiaire TISF durant son stage ?

Pour les stagiaires de 1ère année, c’est principalement de l’observation que l’on attend, mais la stagiaire doit quand même savoir prendre certaines initiatives, et poser des questions. Si la stagiaire ne pose pas de questions, je vais lui poser des questions : « Qu’as-tu vu dans cette famille ? ».  Je leur demande de communiquer avec la famille, mais de ne pas prendre d’initiatives sans mon avis, car ça peut perturber les familles, et ça peut ne pas être bien perçu, et peut mettre la stagiaire en porte-à-faux.

Pour les stagiaires de 2ème année, elles doivent avoir compris plein de choses, comme elles ont eu une formation théorique, sur les familles en difficulté (etc…) et comme elles ont fait des stages, elles doivent pouvoir prendre des initiatives très vite en début de stage. Elles doivent pouvoir se débrouiller seules dans certaines familles, et savoir comment s’y prendre dans les familles. Elles doivent pouvoir mettre en place les objectifs demandés avec les moyens qu’elles ont. Mais il faut être vigilant : j’utilise les 4h par mois pour faire un point, et pour éviter que la stagiaire ne perde pied s’il y a un souci. Si ça fait un mois qu’elle est dans une famille, je fais un point pour savoir pourquoi ça n’évolue pas ou au contraire, lui dire : « c’est bien tu as évolué ». Ça permet de voir ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné. Je suis son parcours, son évolution, et on l’analyse : les progrès, les difficultés…

-Q5 : Quelles qualités doit avoir une TISF, et donc un/une stagiaire TISF, selon vous ?

Il faut avoir un sens de l’observation dans les difficultés des familles. Le sens de l’observation fait que l’on sait comment réagir face à la personne, que l’on peut avancer plus vite, et on sait comment lui dire les choses.

Il faut une adaptation à toute épreuve. Il faut éviter de montrer trop ses émotions, ne pas être trop dans la joie ou trop énervée. Il faut aussi savoir maintenir le cap, et avoir une attitude attentionnée envers la personne que l’on aide.

Il faut savoir dire « ça n’est pas possible d’en arriver là », savoir le dire sans choquer la personne, et sans lui montrer que l’on est choqué, savoir faire preuve de diplomatie.

Certaines familles ne savent pas faire, ne savent plus faire et on est là pour les aider. On n’est pas là pour leur dire : « vous avez fait ça mal », mais plus « on va y arriver ».  On doit remettre de l’équilibre où il n’y en a plus.

-Q6 : Quelles sont les compétences et savoir-faire que doit développer un/une stagiaire TISF, pour exercer son futur métier ?

Moi, j’ai une ancienne formation de travailleuse familiale. La formation de TISF maintenant est vraiment basée sur tout ce qui peut être comportemental.  Maintenant, certaines TISF, si on leur parle de ménage et repassage, elles peuvent être vite contrariées. Mais faire même le petit ménage d’entretien permet le relationnel avec les familles. On leur dit « je vais vous faire cela, et après on verra. ». En formation de TISF aujourd’hui, elles ont beaucoup de cours de psychologie.  Elles apprennent un peu la cuisine et le ménage, mais vite fait. Elles ont de la théorie sur l’alimentation. Ce qu’elles apprennent en théorie sur la psychologie notamment, ça leur permet de se dire « ah oui ça on l’a appris en cours », ça permet la réflexion. Le savoir-faire est lié à la théorie.

Il faut savoir accepter un café car ça commence par cela, ça permet d’expliquer. Ces choses-là se perdent du fait qu’il y a des vrais contrats d’objectifs. On se sent obligé d’aller droit au but avec cela, mais si on avait pris un chemin plus tortueux, on pourrait faire les choses. On met du temps, mais on y arrive alors que si on va droit au but, ça n’est pas possible.

Il faut éviter de trop parler de soi, mais tout de même un peu pour créer un lien. Il faut tout le temps se remettre en question : pourquoi ça a fonctionné ici et pas là. Il ne faut pas le prendre comme un échec si ça n’a pas fonctionné, ça arrive, on fonctionne avec de l’humain. Il faut rester toujours dans le respect de la personne.

Souvent les stagiaires ont beaucoup de mal à comprendre la différence entre ASE prévention, ASE protection, CAF. Elles sont vite perdues si elles n’ont pas de cours. C’est donc important qu’elles sachent faire la distinction.

-Q7 : Quels retours avez-vous pu avoir des stagiaires TISF à la fin de leur stage ?

Parmi les plus récentes, une est maintenant TISF Maitresse de maison dans un foyer parental. Une autre a été récemment embauchée à l’AFAD.

Concernant le stage, j’ai des retours positifs des stagiaires, car ça leur a appris des choses, ça leur permet d’être plus précises sur le métier de TISF. Souvent elles se rendent compte qu’on rentre vraiment dans l’intimité de la famille.  Avec une stagiaire, ça ne se passait pas bien car elle voulait avancer vite, et elle pensait que ça n’allait pas assez vite. Mais on va au rythme de la famille, pour éviter de défaire le peu de liens qu’il y a, même si on a l’impression que ça ne va pas vite.

-Q8 : Qu’est-ce que ce rôle de tuteur de stage vous apporte professionnellement/personnellement ?

Professionnellement, ça permet d’avoir un autre regard sur les familles quand on y va depuis un moment. Ça nous permet de nous remettre en question : est-ce le bon objectif ou faut-il le changer ?  On leur dit de nous dire si elles ont vu des choses qu’on n’a pas vues.

Personnellement, j’aime bien car c’est dans ma nature : j’aime bien transmettre. Je me sens impliquée dans ce que je fais.

-Q9 : Y a-t-il un tutorat dont vous vous souvenez plus particulièrement ?

Un souvenir négatif est lorsque je n’avais pas encore fait la formation, et la stagiaire avait un petit peu dépassé les bornes avec une famille, alors que je l’avais briefé en lui disant de faire attention, pour plusieurs raisons.  Mais ses émotions étaient trop fortes. Nous étions chez une mère maltraitée, et la stagiaire a eu les mots de trop, notamment : « on ne reste pas quand c’est comme ça ! ». Ça s’est malgré tout bien passé dans le sens où la mère a compris ce qu’elle voulait dire. La stagiaire n’a pas été pénalisée, et a pu continuer à venir dans cette famille. Mais sur le moment je pense ne pas avoir eu les bons mots, j’ai été dans le négatif, je l’ai « engueulée » après. La stagiaire s’est rendu compte ensuite qu’elle était allée trop loin dans ses propos.

Un souvenir positif est une stagiaire chez qui on sentait qu’elle était vraiment « là-dedans », elle avait déjà le bon profil. Notre travail c’est être empathique mais pas trop. Et cette stagiaire est le bon exemple. Les bilans étaient aussi bien faits.  Elle a une écriture facile, elle a du vocabulaire bien précis.

– Q10 : Est-ce que vous avez été vous-même tutorée ? Sinon, auriez-vous apprécié ?

Non. J’aurais bien aimé, mais plus pour l’échange qu’autre chose.  J’ai fait une formation sur un an et demi à Orléans, mais les stages dans les familles, nous n’en faisions pas. La formation débutait en avril, et finissait en décembre de l’année d’après.

-Q11 : Un mot pour la fin ?

C’est un métier que je ne regrette pas d’avoir fait, même si moi j’y suis allée un peu par hasard. Le stage avec tuteur permet aux personnes de connaître le métier, et de confirmer ou non le métier.

Il faut être adaptable à tout. C’est un boulot prenant, on peut en faire un bouquin ! J’ai d’ailleurs fait partie des 8 personnes qui ont participé à l’écriture du livre de l’AFAD * : ça a été un enrichissement. C’est vraiment du savoir-faire dans notre travail, mais on ne nous demande pas toujours nos états d’âme. De petites choses peuvent être importantes pour les TISF.

Interview réalisée le 17 mai 2021 par Yona LOPEZ, cadre de secteur AFAD 33

*Le livre évoqué est une compilation de témoignages de TISF. Il a été confectionné en 2013-2014 dans le cadre d’un atelier d’écriture proposé aux salariés TISF et AVF (Auxiliaires de Vie Familiale) volontaires de l’AFAD 33. Cet ouvrage s’intitule : intervenants à domicile, des métiers à vivre. Il est possible de le commander en nous adressant un mail sur : contact@afadgironde.fr

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